mercredi 30 décembre 2015

Le Jura en Berne

C'est un jeu de mots audacieux qui annonce l’exposition jurassienne consacrée au bicentenaire du Traité de Vienne. Tous les cantons suisses ont travaillé sur ce moment fondateur de la Confédération, chacun avec son histoire propre. Les habitants de Porrentruy et sa région, fief de l’Evêché de Bâle, ont vécu une période particulièrement troublée entre 1792 et 1815, administrés par trois nations successives : sujets du Saint-Empire, puis Français, puis Suisses, intégrés au canton de Berne. Auquel ils resteront liés bon gré mal gré jusqu’en 1979, date de l’indépendance du canton du Jura.

C’est en compagnie de quatre personnages fictifs, nés en 1800, qu’on parcourt l’exposition. Une idée judicieuse, qui permet de comprendre les nombreux problèmes de société, les droits et devoirs des habitants variant suivant leur langue, leur religion, leur statut. Hélène est noble, son père est proche du prince-évêque, François est fils d’un meunier catholique, Ester est fille d’un marchand juif, et Antoine fils d’un fermier anabaptiste. Ils ont le même âge, sont issus du même pays, mais vivent des destins totalement divergents.

Le Congrès de Vienne redessine l’Europe, mais pas seulement. Un dialogue savoureux entre Metternich et Talleyrand montre leur complicité, et leur envergure politique. Les anciens usages sont abandonnés, la traite des Noirs abolie, les préséances diplomatiques simplifiées, la liberté de navigation sur le Rhin instaurée...
Tout n’est pourtant pas réglé en 1815 pour les Jurassiens. Si la création de la Confédération se double d’une obligation militaire, ferment de l’unité, puisque l’armée suisse est constituée de tous les citoyens, le XIXème siècle verra de violentes révoltes, des guerres de religion, l’apparition du clivage entre Noirs et Rouges… avant la stabilité politique permettant l’autonomie au XXème siècle. Les caricatures présentées en donnent une représentation impertinente !

Tout cela est à découvrir au Musée de l’Hôtel-Dieu de Porrentruy, un splendide hôtel particulier qui abrite par ailleurs une collection permanente fort intéressante, avec des salles consacrées à l’horlogerie jurassienne et une magnifique pharmacie en érable moucheté, parfaitement conservée depuis plus de deux siècles.

Le Jura en Berne, Bicentenaire du Congrès de Vienne (1815):
Exposition jusqu’au 27 mars 2016 au Musée de l’Hôtel-Dieu de Porrentruy (JU).
www.mhdp.ch

dimanche 20 décembre 2015

Ben à Bâle

Est-ce que tout est art ?
C’est la question métaphysique que pose Ben, dans la mouvance de Duchamp. Spécialiste des petites phrases impertinentes, artiste narcissique, omniprésent en France grâce au succès de ces écritures blanches sur fond noir, il provoque réflexion ou sourire par la justesse de ses aphorismes.

Ben Vautier, artiste franco-suisse, né en 1935 à Naples, a grandi à Nice, où dès 1960 il ouvre une galerie hétéroclite pour exposer les jeunes artistes contemporains, dont Yves Klein. Son « magasin » est la pièce centrale de la rétrospective qui lui est consacrée au Musée Tinguely de Bâle. Une place pertinente, dans ce lieu consacré aux sculptures mouvantes inventées par son illustre contemporain, où la ferraille tourne, les lampes clignotent, les rouages grincent et cliquettent

Photos, concerts, films, installations, confection d’objets, jeux de langage, Ben, en pionnier du mouvement Fluxus, a créé des performances, organisé des actions, et utilisé tous les supports pour interroger l’art, la vie, et mêler le public à l’expérimentation. C’est dans cet esprit qu’il  a décoré les stations du tram de Nice, où ses petites phrases décalées distillent la pensée dans la ville.

Ben au Musée Tinguely à Bâle, une exposition qui décoiffe, jusqu’au 22 janvier 2016.

mercredi 16 décembre 2015

Chronique littéraire : La dernière leçon, de Noëlle Châtelet

Est-ce une leçon de vie ? Une leçon de mort ? Plutôt une leçon de deuil, de séparation.
Dans ce récit intime, l’auteur nous raconte les derniers mois de connivence avec Mireille, sa mère. Celle-ci, âgée de 92 ans, ancienne sage-femme et militante du droit de mourir dans la dignité, a décidé de mettre fin à ses jours. Elle se sent à bout de forces.
Noëlle comprend et approuve intellectuellement la décision maternelle, toute sa vie, sa mère a montré son indépendance d’esprit, sa hardiesse, sa volonté. Elle comprend qu’elle veuille aussi maîtriser sa mort. Mais n’arrive pas à accepter la fin de leur complicité fusionnelle. Elle se révolte contre la proximité de l’échéance choisie par sa mère. 

Le récit raconte les dernières semaines, quand il faut profiter du moindre moment ensemble pour le transformer en petit bonheur, quand il faut apprendre à ne pas avoir de réponse au téléphone, ni de projet commun. Mireille mène le jeu, inflexible, sa force de caractère balaie les arguments de sa fille. Elle lui apprend peu à peu à vivre sans elle, avant son vrai départ.
Pas de théorie, ni même de recherche littéraire, juste un témoignage écrit avec des mots simples, sur une cérémonie d’adieu entre deux personnes qui s’aiment profondément. Pour le lecteur, un beau sujet de réflexion.

Noëlle Châtelet, née en 1944, est femme de lettres et universitaire. Devant le succès de son récit, elle vient de publier "Suite à la dernière leçon", où elle développe son engagement en faveur de la mort assistée, en regard de l’actualité, et des nombreux courriers reçus de lecteurs.
"La dernière leçon" vient d’être adaptée au cinéma, avec Marthe Villalonga et Sandrine Bonnaire dans les rôles principaux.
Ce récit est disponible en poche chez Points.

Chronique publiée dans le JTT.

jeudi 10 décembre 2015

Expo à Tournon : Joseph-Xavier Mallet, peintre et seigneur du fleuve

Le Château de Tournon est aussi  musée de la Batellerie. Exposer un artiste local, amoureux et usager du Rhône, est un choix pertinent, qui nous permet de découvrir les toiles de Joseph-Xavier Mallet, un plaisir visuel chargé d'émotions, d'histoire, accessible à tous.

Quant à sa vie ? Plutôt exceptionnelle. Mallet est né au Teil en 1827, dans une famille de négociants et mariniers. Il a grandi au bord du Rhône, arpenté tous les chemins de halage, fait son apprentissage de batelier dès l'âge de quinze ans, puis navigué sur les barques familiales, qui descendaient le fleuve grâce au courant à l'aller, et remontaient tirées par la force des chevaux.
A l'âge de trente ans, témoin du déclin de la batellerie traditionnelle, il décide de changer complètement de vie. Les bateaux à moteurs remplacent les barques et leurs chevaux ; les ponts se multiplient, grâce à une technologie nouvelle ; on commence de canaliser le fleuve. Mallet quitte la batellerie et la vallée du Rhône pour Paris et les Beaux-arts.
Elève de peintres académiques réputés, il peaufine sa technique de paysagiste, représentant avec nostalgie le Rhône et l'Ardèche, les rives et les falaises, les petits métiers ordinaires, pêcheurs, mariniers, lavandières. Comme ses collègues J.-F. Millet, ou G. Courbet, il participe à l'effervescence politique de la deuxième moitié du XIXème siècle, court après la gloire, mais doit se contenter d'exposer au Salon des Refusés en 1863, avant d'acquérir une petite notoriété.

Au bout d'une dizaine d'années parisiennes, ayant hérité de la maison familiale, il revient s'installer près du Teil, pour commencer une troisième carrière de viticulteur et éleveur. Jusqu'à sa mort en 1895, il continue cependant de croquer des scènes de la vie quotidienne, illustrant à la fois les coutumes agricoles, vendanges, abattage du bétail, et l'émergence de nouveaux métiers, de nouvelles cités, autour de l'expansion de la cimenterie Lafarge, suite à la construction du canal de Suez.
Joseph-Xavier Mallet, peintre du Rhône et de l'Ardèche, a su admirablement représenter la vie de la région à la fin du XIXème siècle. Cette plongée dans l'histoire locale, et dans  la finesse de l'art paysager, est à savourer au Château-Musée de Tournon (07).

"Joseph-Xavier Mallet, le peintre ordinaire du Rhône", jusqu'au 20 décembre 2015.
www.chateaumusee-tournon.com

Article publié dans le JTT du 10 décembre 2015.

dimanche 6 décembre 2015

La légende de Saint-Nicolas

En Lorraine et dans l’Est de la France, en Russie et dans les pays nordiques, le 6 décembre, on fête Saint Nicolas. Une tradition de plus de dix siècles.

Tout commence avec Nicolas, évêque de la ville de Myre, au sud de la Turquie. Un éminent personnage du IVème siècle, célèbre pour sa foi et sa charité. Après sa mort en martyre, le 6 décembre, son tombeau devint lieu de pèlerinage, parfois profané par les pillards. Lors des Croisades, au XIe siècle, des marins Italiens emportèrent les reliques de Saint Nicolas à Bari, dans les Pouilles, où son culte se développa, dans une splendide cathédrale. Mais dans l'équipage,  un chevalier lorrain subtilisa une phalange, pour l’offrir à l’église de Port en Lorraine. Devenue à son tour lieu de pèlerinage, la ville fut alors rebaptisée Saint-Nicolas-de-Port, et Saint Nicolas devint le saint patron de la Lorraine. Il est entre autres le protecteur des marins et des enfants. On raconte qu’il a ressuscité trois petits enfants tués et mis au saloir par un horrible boucher. Il est souvent représenté avec les trois enfants tendant les bras vers lui.

En Alsace et Lorraine, le 6 décembre, en plus des traditionnels marchés de Saint-Nicolas, un défilé aux flambeaux est organisé dans les rues des villes. Un Saint Nicolas, en somptueux habit d’évêque, avec mitre et crosse, accompagné de son âne, distribue des friandises aux enfants sages, tandis que son comparse, le père Fouettard, tout de noir vêtu, donne quelques coups de bâton à ceux qui méritent punition. Et le soir, Saint Nicolas (ou le Père Fouettard suivant les cas) passe dans les maisons. Les enfants l’attendent fiévreusement, mais ne le voient jamais, alors leur tactique, c’est de déposer devant la porte un panier garni de carottes et de sucre, pour attirer son âne. Le lendemain, papillotes, oranges, pains d’épices ou gâteaux en forme de bonhommes, appelés jeanbonhommes (en Franche-Comté) ou männele (en Alsace) garnissent le panier. Parfois même, quelques baguettes de bois dissuasives y sont jointes…

En Lorraine, Saint-Nicolas est la fête la plus importante de l’année. C’est le 6 décembre qu’on échange traditionnellement les cadeaux, les vœux ; les enfants reçoivent leurs jouets, alors qu’à Noël, on se contente de festoyer. Une avance sur le calendrier tout-à-fait légitime, puisque la tradition de Saint-Nicolas est bien antérieure à l’invention du Père-Noël, qui n’est qu’un avatar américain récent de Santa Claus (traduction littérale de Saint Nicolas) en habit rouge et blanc, couleurs  emblématiques de Coca-Cola.

Article publié dans le JTT.