vendredi 27 février 2015

Chronique littéraire : Cherchez la femme, de Alice Ferney

Alice Ferney utilise une trame romanesque, pour se livrer à de percutantes études de caractères. Ce roman narre la naissance, la vie et la mort d’un couple, mais c’est surtout l’occasion d’une analyse minutieuse des comportements masculins et féminins sur plusieurs générations.
Serge et Marianne sont deux jeunes gens gâtés par la vie, dotés d’intelligence, d’esprit d’entreprise, sportifs et beaux. Un beau couple, bien assorti ! Alors, comment expliquer la faillite de leur mariage, après vingt ans et trois enfants ?
C’est que le mariage ne concerne pas simplement deux personnes, mais au moins six, en comptant les parents de chaque côté. Impossible de nier la part génétique et éducative des conjoints, le poids des rêves inassouvis, des vengeances retenues, consciemment ou non, par leurs parents, malmenés avant eux par leurs propres parents.

Vladimir, dont la mère est décédée quand il avait dix ans, a voulu combler ce manque en faisant de sa femme une mère au foyer, Nina, cueillie à seize ans, caressait pourtant des rêves de liberté. Brune est tyrannique, confite de certitudes, Henri essaie de la fuir en s’éloignant au bureau. Serge a été tellement adulé, enfant, qu’il adore se pavaner, il se sent génial. Marianne, écrasée dans son enfance,  accepte malgré sa réussite brillante de se laisser traiter comme un chien.

La psychogénéalogie explique comment ce mélange de refoulements engendre alcoolisme, terreur, lâcheté, malheur. Elle démonte les mécanismes cachés de la famille. Mais ne donne pas les clés du bonheur. Chacun peut retrouver ses propres frustrations, ses limites, ses incohérences, dans cette peinture de mœurs, où les sentiments n’ont pas la même valeur pour tous. Un roman complexe et perturbant.

Alice Ferney, née à Paris en 1961, est l’auteur de nombreux romans. Ses thèmes de prédilection sont la féminité, le sentiment amoureux, la différence des sexes. Mais elle a publié en 2014 Le règne du vivant, un vibrant manifeste écologiste en faveur de la protection des baleines. Tous ses livres sont publiés chez Actes Sud.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 5 mars 2015.

mercredi 18 février 2015

Les bugnes lyonnaises

Cette année, Mardi-gras a eu lieu le 17 février. La date change chaque année, car elle est fixée 47 jours avant Pâques, d’après le calendrier grégorien. Mardi-gras est d’abord une fête chrétienne : veille du mercredi des Cendres, elle annonce le Carême, période de jeûne qui dure jusqu’à Pâques. Avant de se priver, on fait bombance. D'où les expressions « faire gras » : manger sans limitation, par opposition à « faire maigre » : jeûner. Au moyen-âge, le Carême, période de jeûne et abstinence, ce qui signifie nourriture frugale, et ni fête, ni sexe, était systématiquement observé par une population très pieuse. Le Mardi-gras s'appelait alors Carême-Entrant.

Mardi-gras est aussi un héritage des rites païens, quand l'Empire romain fêtait le retour du printemps, par des déguisements et la transgression des interdits. Le Carnaval (du latin carne levare : retirer la viande) a synthétisé ces différentes traditions pour se traduire, depuis le XIème siècle, par un défilé populaire où chacun peut se déguiser, parader dans les rues, et déguster les pâtisseries rituelles : les beignets.

En Rhône-Alpes, on les appelle Bugnes. Il y en a de deux sortes : les fines- craquantes, et les dodues-moelleuses. Le mot Oreillettes, d’origine provençale, est utilisé parfois pour désigner les bugnes craquantes. Ailleurs, on parle aussi de Merveilles. La différence d'épaisseur est en fait une divergence régionale, les bugnes lyonnaises sont plutôt craquantes, les bugnes stéphanoises plus épaisses et tendres. Mais la recette est la même... à part la levure. Particularité lyonnaise : en février, on trouve des bugnes dans toutes les pâtisseries, mais aussi dans les boucheries. 
Voici une recette parmi tant d’autres :

Ingrédients:
- 1/4 paquet de levure chimique (soit 3 g environ)
- 2 jaunes d'oeufs
- 250 g de farine
- 40 g de beurre
- 5 cl d'eau de fleur d'oranger
- 75 g de sucre en poudre
- huile pour la friture
- une pincée de sel
sucre glace pour la décoration 

Préparation:
Mélanger la farine et la levure dans un saladier puis y faire une fontaine.
Ajouter à la farine, le beurre ramolli, les œufs, le sucre, le sel et l'eau de fleur d'oranger puis pétrir le tout.
Malaxer la pâte afin d'obtenir une boule (n'hésitez pas à rajouter de la farine) car la pâte ne doit plus coller.
Mettre dans un saladier, couvrir et laisser reposer à température ambiante au moins 1 heure. La pâte doit doubler de volume.
Fariner le plan de travail et étaler la pâte au rouleau pas trop épaisse.
Faire chauffer le bain de friture à 170°C.
Découper la pâte en différentes formes et les jeter dans la friture.
Surveiller la cuisson et retourner la bugne dès qu'elle se colore.
Égoutter sur un papier absorbant, saupoudrer de sucre.
Bon appétit !

Article publié dans le JTT du jeudi 19 février 2015.

jeudi 12 février 2015

Chronique littéraire : Soumission, de Michel Houellebecq

Cette œuvre d’anticipation, à la manière de G. Orwell, déchaîne actuellement la polémique. Elle  mérite d’être lue pour se forger sa propre opinion.
Un texte de Houellebecq, c’est un peu comme un dessin de Charlie Hebdo : provocateur, ironique, parfois porno, la société y est pointée dans ses travers, ses faiblesses. Mais grâce au roman, l’auteur va plus loin, il utilise la politique-fiction pour pousser la caricature au-delà du réel. Son hypothèse : en 2022, les dérives du laxisme politique entraînent les électeurs à voter pour un Président musulman, et l’Islam s’installe en France. Femmes voilées, antisémitisme encouragé, conversions obligatoires, mais accalmie des violences urbaines et baisse du chômage.

Le narrateur ressemble à Houellebecq : universitaire reconnu par ses pairs, mais aigri, ni motivé par son métier, ni par la vie, sans parents, amis, amours, juste consommateur d’alcool et de chair fraîche, les filles entre 15 et 30 ans, sinon, « vagins racornis », il les relègue à la cuisine. Pire que misogyne, ce personnage antipathique suscite pourtant intérêt et amusement, car, en fin sociologue, il analyse avec cynisme le comportement des responsables de la décrépitude française. Politiques mous et menteurs, journalistes manipulateurs d’opinion, intellectuels assujettis aux puissants, tous soucieux d’abord de leur ego, en prennent pour leur grade, et nommément. Une liberté de ton qui change agréablement du consensus médiatique.

Côté style, pas d’effets littéraires, ni d’émotion, le message est sobre, précis, sans affect. Pour conserver sa place à l’ « université islamique de Paris- Sorbonne », le narrateur, spécialiste de Huysmans (écrivain du XIXème, décadent lui aussi) accepte de se convertir. Avantages pour lui : argent, sexe et renommée ; finalement, il est sensible au même discours que les jeunes paumés de banlieue qui s’engagent dans le Jihad.

Cette fiction se moque des tabous, bouscule les idées reçues, interroge l‘avenir. Incroyable concomitance, les attentats de janvier entraînent eux aussi  à une réflexion sur la place de l’Islam en France. Charlie et Houellebecq illustrent de fait deux faces du même problème.
Tous les romans de Michel Houellebecq traitent de thématiques contemporaines. Il  a pourfendu le tourisme sexuel, le clonage, la misère sociale, ou les dérives de l’art, dans « La carte et le territoire », prix Goncourt en 2010. Toujours à contre-courant, il connaît le succès, mais ses détracteurs l’accablent. Ses pavés dans la mare encouragent pourtant à ne pas penser en rond.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 26 février 2015.

jeudi 5 février 2015

Auxelles-Haut : Oh qu' c'est haut !

C’est au Ballon qu’on devait chausser les raquettes, mais l’imposante couche de neige en a décidé autrement : route coupée, arbres cassés encombrant la chaussée, les gendarmes nous ont  priés d’aller jouer ailleurs. Avec Eric, pas de panique ! Auxelles- Haut nous tend ses bras blancs et son parking vierge.

Ça commence par une rude montée pour traverser le village. Attention à bien serrer à droite pour laisser passer les voitures : Les habitants pressés n’ont pas envie de freiner et rester coincés sur la neige damée. Nous atteignons enfin le sentier du Mont Ménard. Mais de sentier, il n’y en a point : la couche de neige, plus de soixante centimètres, recouvre tout, les arbres courbés ou cassés sous le poids entravent le passage.
Avec Eric, c'est pratique ! On passe dans la forêt, hors des chemins battus (ou abattus).

Faire sa propre trace, quelle liberté. Sans pouvoir aller où l’on veut, car les amas de neige gênent notre progression. Il faut passer à l’arrache (bonnet) entre les arbres chargés, les buissons figés, les ronces camouflées. Oh qu’c’est difficile d’avancer ! Et ça monte, insensiblement, puis de plus en plus fort. Objectif : l’observatoire.
Tous les repères ont changé. L’épaisseur de neige a transformé le paysage, magnifique sous la lumière voilée. Arbres voûtés formant tunnel, petits monticules de neige en ribambelle, branches décorées de rubans figés, crêtes givrées. Nous traversons une tourbière indécelable, sauf par la présence d'un ruisseau à franchir. Ambiance magique, malgré la marche difficile, la neige profonde, les raquettes qui s’enfoncent dans des fondrières masquées, ou accrochent une racine invisible. Avec Eric, c’est technique !

Direction la Vierge. Nous sortons de la forêt. Oh qu’ c’est haut ! Derrière nous, le panorama se déploie, superbe. Les Vosges saônoises, les étangs,  Belfort au loin, le tout emmitouflé de neige. Pause goûter : on a bien mérité les friandises russes de Sylvie, il faut prendre des forces avant la descente. Car elle sera rapide, sauvage : Vous apercevez le village tout au fond de la vallée, ? On va tracer en direct sur lui. Avec Eric, c’est technique, mais pas de panique.

Enfin, si, un peu. Glissades obligées sur les fesses, pour franchir les pentes trop rapides, chutes imprévues, bâtons et bonnets accrochés, décrochés, pieds coincés, décoincés, branches écartées, cassées, la descente épuise autant que la montée. Enfin, tout en bas, le parking, les voitures, la civilisation retrouvée. Soulagement général, enthousiasme et sourire vainqueur.
Avec Eric, c’est épique !

lundi 2 février 2015

Dans l'antre d'Epicure : Le SIRHA

Le Salon International de la Restauration, l’Hôtellerie et l’Alimentation s’est tenu du 24 au 28 janvier dans les locaux du parc Eurexpo à Lyon. Un événement majeur, qui offre à tous les professionnels une vision complète de la production mondiale et des nouvelles tendances. Sur 130 000 mètres- carrés, 2980 exposants ont accueilli 185 500 visiteurs. Un véritable marathon, qui commençait dès l’approche du parc Eurexpo : embouteillages garantis ! Même chose dans les 6 halls du centre d’exposition, envahis par la foule. Tous les secteurs étaient représentés : boucherie, boulangerie, pâtisserie, confiserie, traiteur, vins, cafés, arts de la table, équipement de salles, matériel professionnel, décoration, nouvelles technologies…

Dans le carré Rhône-Alpes, les produits locaux attiraient les visiteurs étrangers : caillettes et picodons, châtaignes et ravioles, pintades et olives, eaux de source et glaces ardéchoises. Valrhona trônait au milieu des chocolatiers et autres fabricants de bonbons, fèves, décors de gâteaux. Partout, des démonstrations de matériel et de savoir-faire, les confiseurs-créateurs rivalisant d’audace : sculptures arachnéennes de caramel, glaçages artistiques de pièces montées, sujets de chocolat dorés à la feuille, brassage des pralines roses. Et Metro jouait sa nouvelle carte de produits frais, avec un somptueux étalage de fruits et légumes.

Les contrats professionnels ont été signés et fêtés sur les stands. Conférences, émissions de télévision et de radio en direct, conseils juridiques et offres d’emploi, rien ne manquait au Salon. La frénésie du public a culminé lors des différents concours : Coupe du monde de la Pâtisserie, trophée européen de boucherie, meilleur fromager, concours de l’Ecaille d’or, meilleur vigneron-cuisinier, coupe de France de boulangerie, et surtout la finale du titre le plus convoité : le Bocuse d’Or, qui exige deux ans de préparation aux grands chefs, mais leur assure une réputation mondiale à vie.

Le thème 2015, « Végétal et Virtuosité » a permis aux 24 candidats de révéler toute leur créativité. En 5h30, les chefs devaient confectionner, entre autres gourmandises, un plat de viande et un plat de poisson, sublimés avec 50% de végétaux. Ingrédients imposés : Pintade Fermière des Landes et Truite Fario. Le lauréat 2015 est le chef Norvégien Ørjan Johannessen.

Un seul regret, devant cette gigantesque exposition de délices gastronomiques : on ne peut acheter que par palettes ! Mais pas de gaspillage : la totalité des marchandises exposées non consommées est cédée en fin de salon à la Banque Alimentaire du Rhône : environ 14 tonnes d’aliments de qualité sont ainsi distribués aux associations.

Article publié dans le JTT du jeudi 5 février 2015.