jeudi 30 octobre 2014

Le Pigeonnier de Saint-Félicien : Un phare en Ardèche

Au musée de Tournon, une salle dédiée au poète Charles Forot, mentionne son influence culturelle, avec sa maison d'édition, le Pigeonnier, et son aréopage d'artistes, le sculpteur Marcel Gimond, le graveur Jean Chièze, le peintre Pierre Boncompain, le musicien Vincent d'Indy... Mais il faut aller à Saint-Félicien visiter la maison de l'artiste, pour comprendre comment cet Ardéchois charismatique a réussi à faire de son village un centre artistique vivant, digne des plus grands salons parisiens, pendant toute la première moitié du vingtième siècle.
Le label " Maison d'écrivain " est désormais acquis. Lors des visites guidées, Hélène et Thérèse font revivre avec passion la vie et l’œuvre de l'enfant du pays, dont elles se souviennent avec émotion.

Charles Forot est né en 1890. Sa mère, prématurément veuve, rejoint la propriété maternelle, le Pigeonnier, avec ses enfants. Là, Charles vit des années heureuses, petit campagnard dégourdi, courant les bois, dénichant les nids, attrapant les truites à la main. La pension au lycée à Valence, puis Annonay, n'en est que plus rude ! Atteint de la maladie de Pott en 1906, il doit interrompre ses études et s'aliter pendant 3 ans. Cette longue réclusion lui permet de développer son imaginaire et sa curiosité, stimulé par des échanges réguliers avec son oncle, un prélat romain cultivé, Mgr Battandier.

A Paris, étudiant à la Sorbonne, il se lie d'amitié avec de nombreux artistes et intellectuels, dont certains sont aussi ardéchois. Toute sa vie, il cultivera ces liens, invitant régulièrement ses amis à passer de longues semaines au Pigeonnier. Avant l'heure, il invente ainsi le concept de résidence d'artistes. Pendant la Grande Guerre, le Pigeonnier devient un refuge providentiel pour les Parisiens, qui peuvent y créer librement. De fructueux échanges d'idées émerge en 1920 la création d'une maison d'édition : Charles Forot décide de publier ses écrits et ceux de ses amis, dans des plaquettes de qualité, illustrées par les meilleurs graveurs et peintres du moment, comme Jean Chièze ou Jos Jullien. Ainsi paraissent almanachs, recueils de poèmes, documents, livres d'art, signés Paul Valéry, Charles Maurras, Louis le Carbonnel, Gabriel Faure ...

Mais l'activité ne s'arrête pas là ! Charles et son épouse Geneviève voyagent, se passionnent pour le théâtre, le folklore, la botanique, la céramique... En 1925, première représentation de la troupe de théâtre du Pigeonnier, sur la terrasse, devant 500 personnes (chacun apporte sa chaise !) . C'est le début d'une longue tradition de théâtre au village, reprise aujourd'hui par Felixval. A l'exposition universelle de Paris, en 1937, Charles Forot promeut le Vivarais à travers ses poteries et son mobilier. Puis lance avec Marie-Madeleine Bouvier en 1938 le groupe folklorique Empi et Riaume, dont le succès s'est amplifié au fil des ans. Jusqu'en 1958, il multiplie les initiatives artistiques en Ardèche, tout en continuant d'éditer ceux qu'il aime. L'âge mettra un frein à ses activités, le poète s'éteindra en 1973.

Charles Forot a développé à Saint-Félicien une vie culturelle de qualité et fédéré les initiatives locales. Aujourd'hui, le village profite de cet investissement artistique associatif. Sa maison, ouverte au public, entend perpétuer son œuvre en encourageant les créations, lectures, expositions, ateliers. Quant aux ouvrages édités par Le Pigeonnier, on peut encore les consulter à la Bibliothèque de Saint-Félicien, qui conserve ce précieux patrimoine.

Visites guidées du Pigeonnier : de juin à septembre, dimanches et jours fériés.
Renseignements à l'office de Tourisme de Saint-Félicien : 04 75 06 06 12.


vendredi 24 octobre 2014

Chronique littéraire : N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures, de Paola Pigani

Ce proverbe tzigane symbolise parfaitement une page méconnue de la guerre de 39/45: l'internement obligatoire, dans des camps en Charente, de tous les saltimbanques, forains, Manouches et autres Romanichels français. Une circulaire de Pétain interdisait leur libre circulation. On les a enfermés, et donc privés de ce qui constituait l'essence même de leur culture : la liberté de mouvement. Ils ont essayé de survivre dans la misère et le désintérêt des autorités.

C'est Alba qui raconte. Entrée dans le camp à 14ans, elle croit que cet entassement dans des baraquements rudimentaires est provisoire. Mais les autorités confisquent les roulottes, les chevaux. Son internement et celui de sa famille, de sa tribu, durera six longues années. Elle connaîtra le froid, la faim, le désespoir, mais aussi la solidarité et l'amour. Naissances et décès, humiliations et amitiés, tenir malgré l'adversité, s'adapter pour vivre. Ce roman évoque la souffrance et la solidarité d'un peuple marginal et secret, qui d'habitude ne se confie pas aux gadgés.

Mais Paola Pigani, née en 1963 dans une pauvre famille italienne émigrée en Charente, a longtemps côtoyé les Manouches, partagé son enfance avec eux. Après avoir rencontré une survivante du camp des Alliers, elle a voulu faire connaître ce pan ignoré et peu reluisant de l'histoire de la France de Pétain. Et rendre hommage à ses amis, fiers et libres, encore à l'index aujourd'hui.
Dans un style poétique, elle réussit un roman d'initiation sensible et chaleureux, empreint d'humanité.

En poche chez Liana Levi Piccolo au prix de 9,50€.
Chronique publiée dans le JTT du jeudi 23 octobre 2014.

dimanche 19 octobre 2014

Enlivrez-vous !

Du 9 octobre au 2 novembre, la 41ème édition de la Foire aux livres de Belfort transforme les salons du Centre de congrès Atria en une gigantesque librairie : Plus de 270 000 livres sont proposés au public, à des prix défiant toute concurrence : à partir de 0.50€ les poches ou les albums jeunesse.  Inutile de dire qu’on s’y presse chaque jour.

Deux conseils : ne pas venir avec une liste, impossible à suivre, mais se laisser porter par la découverte, le hasard. Et prévoir un horaire suffisant, car une telle plongée dans les livres fait perdre toute notion de temps.

Le public est très varié : méthodique, comme ce
couple qui repart avec 25 romans pour 80€, de quoi passer l’hiver. Ou papillonnant, à la recherche du coup de cœur. Ados feuilletant BD ou mangas, grands-parents faisant provision d’histoires pour les petits-enfants, fins lettrés en quête d’éditions rares, routards explorant les guides de voyage, esthètes rêvant devant les livres d’art, ou cuisinières imaginatives en mal de recettes…  Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les bourses.
Les week-ends sont l’occasion de manifestations complémentaires, dédicaces, ateliers, expositions, conférences. La plus grande foire aux livres de l’Est de la France rassemble alors un public encore plus nombreux. Mais pas d’inquiétude si la queue s’allonge aux caisses : on a de quoi lire !

Foire aux livres de Belfort : jusqu’au 2 novembre, centre de congrès Atria. Entrée libre.
Ouverte en semaine de 14 à 19h, week-ends et fériés de 10 à 19h.
Programme quotidien sur : fr.facebook.com/FoireDuLivreBelfort


mercredi 15 octobre 2014

La course des garçons de café à Obernai

Petite ville située dans le vignoble, à 25 km de Strasbourg, Obernai est un pur condensé d’Alsace. C’est une destination privilégiée des amateurs de terroir et de tradition. Un ensemble de superbes maisons à colombage du 16ème siècle, entretenues avec passion, façades aux couleurs vives, cours intérieures voûtées, jardinières croulantes de fleurs. Des monuments emblématiques : la tour du beffroi, les remparts, le puits aux six seaux, la cathédrale, la synagogue, taillées dans le grès rose.

Dans les rues piétonnes, des commerces florissants, en particulier une cinquantaine de bars, restaurants, pâtisseries et winstubs, qui tous proposent les spécialités typiques. Pas étonnant que samedi, sur la place du Marché, une centaine de serveuses et serveurs soient réunis pour participer à la traditionnelle course des garçons de café. Une animation en musique, avec dégustation des crus locaux. A travers les ruelles médiévales, ils ont essayé de garder les verres pleins en équilibre sur leur plateau, malgré les embûches. Leur lot quotidien, car les vendanges sont faites, le vin est tiré, il faut le boire. Ici, la vigne est au cœur de la  vie. Il paraît même qu’à la fête d’automne, le vin nouveau coule à flots de la fontaine Sainte Odile !


samedi 11 octobre 2014

Chronique littéraire : Patients, de Grand Corps Malade

Grand Corps Malade, c’est le nom de scène d’un  célèbre auteur compositeur interprète de slam. De son vrai nom Fabien Marsaud, né en 1977 en Seine Saint Denis, il accumule les succès musicaux depuis 2006. Dans ce récit autobiographique, il montre qu’il manie aussi bien la rime que la prose.

Le grand corps, c’est le sien : 1,94m. Malade ? Pire que cela. Après une grave chute dans une piscine, il se retrouve, à vingt ans, dans le service des Tétraplégiques, en  rééducation. Plongée dans un monde à l’opposé de ce qu’il connaissait avant, puisqu’il était fan de sport.
Pour lui, un espoir existe, il est « tétra incomplet », c’est-à-dire qu’il arrive à bouger sa main gauche. La rééducation, et la patience, lui permettront de récupérer beaucoup plus, jusqu’à marcher avec une simple béquille.

Avec un beau sens de la dérision, et de la formule, il dresse un portrait tendre et ironique, mais très réaliste, de ses camarades d’infortune à l’hôpital, ainsi que du personnel soignant. Chez les tétras, pas d’apitoiement, pas de projets d’avenir, mais rigolade obligatoire : entre eux, c’est la règle.
Humour et émotion pour le lecteur qui pénètre à sa suite dans cet univers terrifiant, et se retrouve dans une atmosphère tragi-comique, dans la veine du film « Intouchables ».

Patients est disponible en Points Poche au prix de 5.70€.
Chronique publiée dans le JTT du jeudi 16 octobre.

lundi 6 octobre 2014

Blessures de guerre

Difficile de choisir des lectures pour illustrer le thème de l’année, parmi la profusion d’ouvrages dédiés à la Grande Guerre. Nous avons privilégié deux thèmes qui nous ont particulièrement émus.

Côté humain : l’envie de rendre hommage à mon grand-père Italien. Il avait 20 ans sur le front des Dolomites, en 1916, quand il a été
grièvement blessé. Il a survécu jusqu’à 80 ans avec une soixantaine d’éclats d’obus dans le corps, maudissant la guerre à tout jamais.
Son compatriote, l’écrivain Mario Rigoni Stern (1921-2008) a parfaitement rendu l’ambiance des combats sur la frontière austro-italienne, du côté du Monte Grappa. Son « Histoire de Tonle », c’est un peu celle de mon grand-père.

Côté animal, JP a été bouleversé à la lecture de « Bêtes des tranchées » un document de Eric Baratay, qui analyse avec précision la participation à la guerre de millions d’animaux, chevaux, chiens, pigeons, réquisitionnés, dressés, utilisés, tués aux côtés des troupes.

La guerre a blessé, décimé, les animaux comme les soldats. Dans les tranchées, les hommes vivaient d’ailleurs comme des bêtes, parmi les bêtes… Leur destin commun fut le carnage.

Une heure de lecture publique à la Bibliothèque de Grandvillars le 8 octobre à 18h.