vendredi 30 mai 2014

Chronique littéraire : La nuit tombée, de Antoine Choplin


Dans un style sobre, sans pathos, avec une belle économie de mots, Antoine Choplin nous fait pénétrer dans une région rayée du monde, celle de Tchernobyl, où certains habitants s’obstinent à continuer à vivre.

Gouri quitte les faubourgs de Kiev, sur sa vieille moto, il roule en direction de la ville où il habitait, et qui n’existe plus. Ou plutôt, elle existe mais fait partie de la zone interdite. Paysage désolé, villages désertés, en ruines, hommes et bêtes mourants ou simplement en sursis. Arrêt à Chevtchenko, chez d’anciens amis, qui sont restés dans leur maison, à la limite de la zone mortelle.  Conscients du danger, mais refusant de partir, plus ou moins atteints par les ravages du césium. Gouri, lui, est parti, pour survivre. Il est encore leur ami, mais il est passé de l’autre côté.

La nuit tombe, Gouri  repart, il veut récupérer quelque chose dans son ancien appartement. la porte peinte de la chambre de sa fille, mourante. Un souvenir de grande importance pour lui. Des soldats gardent les entrées de la zone, mais on peut s’infiltrer, les pillards multiplient les incursions. Gouri doit  échapper à la vigilance des policiers, et à la  convoitise des voleurs. La mort rôde dans la ville fantôme. Il rentre chez lui comme un voleur...

Antoine Choplin, né en 1962 à Châteauroux, vit depuis 1992 à Grenoble. Ce passionné de montagne, auteur de nombreux romans, y développe des projets artistiques, tels le Festival de l’Arpenteur.

La nuit tombée est disponible en Points Poche au prix de 5.70€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 22 mai.

jeudi 22 mai 2014

Carnets de voyages

Pour garder en mémoire le souvenir de mes voyages, je prends des notes en chemin, puis je rédige un cahier au retour. A l'instar de Nicolas Bouvier, j’alterne les descriptions, les anecdotes vécues, et le point de vue sociologique, humain. Quelques photos me permettent de retrouver une ambiance, un moment, magique, amusant, agréable ou non. Mais mon grand regret, c’est de ne pas savoir dessiner.

Quel plaisir alors de découvrir les superbes carnets de voyage illustrés réunis à la Bibliothèque Universitaire de Belfort ! Des carnets à l’ancienne, comme ceux des artistes qui visitaient l’Europe au 19ème siècle, en sachant à la fois manier la plume et le pinceau.
L’exposition joue la diversité géographique, avec des carnets illustrant le Japon, la Russie, l’Italie, la Thaïlande, le Québec, le Chemin de Saint Jacques… Mais aussi la variété des époques, de l’Algérie de 1930 jusqu’aux Montgolfiades de Belfort. Celle des styles, aquarelles, dessins, photos, textes ou collages. Et celle des voyageurs, artistes en liberté ou élèves en séjour d’étude, globe-trotters ou promeneurs méditatifs.

J’ai exhumé et prêté les carnets de voyage rédigés par mes enfants,  lors de vacances en Egypte et en Crète, quand ils avaient une dizaine d'années. Maintenant, ils ne regrettent plus d’avoir été « obligés » de relater par écrit leur périple !
Vous aussi, si vous aimez les voyages, le dépaysement, allez faire provision de rêve à l’exposition « Carnets de voyage », jusqu’au 7 juin à la B.U. de Belfort. Entrée libre.


jeudi 15 mai 2014

Chronique littéraire : Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga

Dans un lycée de jeunes filles du Rwanda, en 1970, les histoires de cœur et de cours tissent le quotidien. Mais pas seulement. A travers le destin des lycéennes on découvre les prémisses du génocide advenu il y a vingt ans.

Aux sources du Nil, c’est le nom du lycée, construit sur une haute colline, où les jeunes filles de l’élite viennent chercher une éducation en rapport avec leurs ambitions. Religieuses belges, profs français, apprentissage des langues et des bonnes manières, tout semble serein, pourtant tout est faussé. La haine raciale règne, les filles de la majorité Hutu écrasent les Tutsi minoritaires, juste tolérées dans la limite du quota de dix pour cent. La charité de façade, l’indifférence des autorités, ouvrent la porte à la perversion, la violence.

Un vieux planteur blanc, passionné d’histoire, prétend que les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs de Méroé sans penser que sa folie douce va précipiter le déferlement de haine. Celle de Gloriosa, fille de ministre, qui, avec ses copines Hutu, tyrannise Virginia et Veronica, pauvres Tutsi, ainsi que Modesta, de sang-mêlé. Le huis clos du lycée exacerbe la montée de la peur, de la violence.
En contrepoint, la vie traditionnelle au Rwanda, des travaux agricoles aux désirs d’émancipation des filles, est évoquée de façon poétique et réaliste, avec un vocabulaire idiomatique parfois compliqué, mais qui donne force et émotion au roman.

Scholastique Mukasonga est née en 1956 au Rwanda. Réfugiée au Burundi, puis en France en 1992, elle a survécu au génocide de 1994, alors que 27 membres de sa famille  ont été massacrés. Le devoir de mémoire traverse son œuvre.
Elle a obtenu le Prix Renaudot 2012 avec ce premier roman, disponible en Folio au prix de 7.40€.

Chronique publiée dans le JTT.

jeudi 8 mai 2014

Jours de Venise, jours à Venise

La dentelle de Venise joue les arabesques et les volutes, c’est une prouesse technique qui témoigne d’un parfait raffinement, les reliefs brodés s’assemblent par des brides aériennes, qui enjambent les creux, inventant un lacis mystérieux. A l’image de la célèbre lagune, succession d’îles urbaines reliées par autant de ponts étroits, sublime géographie de pierre et d’eau.

Venise la somptueuse, San Marco et ses ors, la démesure du Palais des Doges, la richesse de l’Accademia. Et Venise la secrète, à l’écart de la foule, où la beauté surgit à chaque pas, où se perdre est un délice.

Notre séjour en Vénétie a été éblouissant. Venise, bien sûr, mais aussi Vérone et ses arènes de marbre rose et blanc, Padoue et les fresques de Giotto, Vicence et les villas palladiennes. Des villes où il fait bon flâner, passegiata incontournable. Gastronomie italienne au programme, pasta ou risotto aux saveurs renouvelées, incontournables gelati, un verre de Valpolicella, Prosecco ou Spritz en terrasse, pour apprécier les couleurs du soleil couchant.

Que dire du shopping ? Boutiques aux étalages élégants, vêtements et chaussures d’une originalité folle, mais aussi merveilleuses échoppes anciennes, velours, passementerie, verrerie, reliure, orfèvrerie... Sans oublier la floraison de magasins outlet, Geox ou Benetton…

Qu’on se sente l’âme de Casanova, celle de Titien ou de Marco Polo, voyageur, artiste ou épicurien, la Vénétie offre tous ses atouts, tous ses atours, dans un flot de dentelle précieuse.


lundi 5 mai 2014

Hommage au Facteur Cheval

Hauterives, petite cité de la Drôme des Collines, doit sa notoriété à Ferdinand Cheval, le célèbre facteur artiste, qui a construit un Palais Idéal surréaliste, très prisé des touristes, avec les milliers de cailloux collectés pendant ses tournées. La vie culturelle de la petite ville tourne autour de cette célébrité : visites, randonnées à thème, festivals de musique et expositions.

Cette saison, c'est Bernard Pras, plasticien de renommée internationale, qui a installé ses anamorphoses au château. Mystérieuse expression, que même la définition ne peut expliquer. Il faut voir pour comprendre. En pénétrant dans la salle, on découvre un tas d'objets hétéroclites chinés à Emmaüs. L'installation paraît dépourvue de sens. Alors ? Il faut se placer au point précis d'où part la perspective, et d'un coup, apparaît le visage du facteur Cheval, à qui Bernard Pras rend ainsi hommage. C'est absolument bluffant et génial. Un travail de bricoleur dingue, mâtiné d'une maîtrise totale de l'art de la perspective et de la découpe en plans successifs. On comprend alors la définition : l'anamorphose est une déformation d'image, à l'aide d'un système optique ou d'un procédé mathématique.

Ferdinand Cheval a accumulé les cailloux pour les transformer en gargouilles, géants, ou éléphants. Bernard Pras, lui, décortique des portraits célèbres, de Louis XIV à Dali, en amas de vélos, coquillages, poupées, trains, animaux ou scoubidous … Le clin d'oeil est évident.
"Pras à Cheval" est une exposition exceptionnelle et gratuite, dont l' originalité séduit petits et grands. Au Château d'Hauterives, tous les jours, jusqu'au 29 juin 2014.