mercredi 26 mars 2014

Du vert dont on fait les Vosges

Le froid a frappé cette nuit. Les magnolias du jardin, qui préparaient doucement leur floraison rose, tendent désespérément leurs bourgeons roussis au frais soleil matinal. Mais prunus et forsythias ont gardé leur éclat. Une gelée blanche poudre la campagne. Les Vosges se dessinent au loin, ligne bleue dans un ciel bleu. La randonnée sera belle.

Dès la vallée du Rahin, le vert domine. Premières feuilles écloses au bord du ruisseau, forêt dense de sapins en arrière-plan. De la maison forestière, nous remontons le long des cascades de la Goutte des Saules. Aujourd’hui, ce n’est pas leur débit qui nous impressionne, c’est la mousse d’un vert éclatant, presque fluorescent, qui recouvre les rochers et les arbres alentour. La grimpette permet d’en profiter, à hauteur d’œil. Une mousse abondante, fraîche, drue, née de la dernière pluie. De la chlorophylle pure, on en mangerait !

Avec l’altitude, nos pas glissent entre flaques gelées et neige en fine pellicule, qui s'épaissit,  au-delà de 1000 m d’altitude. Idéale pour rafraîchir les bouteilles destinées à  l'apéritif  rituel, au col des Chevrères. Une descente joyeuse sur Belfahy nous conduit à l’auberge de la Belle Hêtraie (traduction littéraire de Beau fayard). Le patron est au diapason de l’ambiance, et sa poireaute comtoise  délicieuse : Poireaux, pommes de terre, carottes, saucisse de Morteau, lard et porc, arrosés de vin blanc et recouverts de fromage, ont été longuement mijotés dans une cocotte en terre bien fermée… Après l'effort...

La descente vers Plancher les Mines s’effectue par un sentier raide et caillouteux, encore couvert de feuilles sèches. Mais le printemps explose tout autour : parterres de primevères, anémones, violettes. Dans les prés voisins, profusion de chatons jaunes, bourdonnements d'insectes, premiers chants d’oiseaux. Les sommets et vallées vosgiennes se découpent  dans le ciel en un superbe dégradé de verts. Il ne reste plus qu’à remonter le long du Rahin qui clapote joyeusement sur les cailloux.

samedi 22 mars 2014

Chronique littéraire : Grands-parents, à vous de jouer, de Marcel Rufo

Et pas seulement pendant les vacances ! Dans ce document, Marcel Rufo réaffirme l’importance des grands-parents dans l’éducation des enfants. Dans notre monde troublé, les grands-parents ont un rôle bien différent de celui des parents. Il ne s’agit pas de concurrence, ni de surenchère, mais d’une autre forme d’intérêt : prendre le temps, aider à clarifier les situations pénibles. Les grands-parents, par leur recul, leur situation stable, peuvent plus facilement dédramatiser les événements. Peut-être parce qu’ils ne se projettent pas dans l’avenir de leurs petits-enfants ?
L’important est de maintenir un lien de confiance, de complicité entre eux. Montrer amour, intérêt, disponibilité en toute circonstance. L’écoute, la parole, sont l’avantage des grands-parents. Mais ils doivent aussi rappeler les règles. Ne pas éviter, ou sous-évaluer les sujets délicats, qui posent problème. En parler avec les enfants ou les ados, même si c’est difficile. Et redéfinir les limites.
Marcel Rufo, par des lettres fictives, donne des exemples de situations délicates, suggère des pistes. Et insiste sur la façon de le dire. Car le choix des mots est déterminant, la parole doit être précise, empathique, ouvrir les portes plutôt que les fermer.

Le portrait de la propre grand-mère de Marcel Rufo est savoureux. Une maîtresse femme, émigrée italienne, qui a toujours cru en lui, mais sans faiblesse. Avec raison, puisque le petit garçon, né en 1944, dont les parents étaient vendeurs de légumes sur le marché de Toulon, est devenu un brillant  et médiatique pédopsychiatre. Sa Mémé l’aimait d’un amour inconditionnel, mais ne transigeait pas avec l’autorité et les valeurs morales. Avec elle, il a appris la tolérance et la rébellion, mais aussi la cuisine et l’Italie. 

Quelques réflexions, piochées au hasard de ce livre, disponible en Livre de poche, au prix de 6.60€. 
- Les petits-enfants donnent aux grands-parents l’occasion de revivre leur enfance
- Est-on meilleur grand-père que père ?
- Le passé fonde l’avenir
- L’écoute est supérieure au discours
- La frustration est un mal nécessaire
- La transgression de l’interdit fait partie du développement

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 27 mars 2014.

samedi 15 mars 2014

Atelier d'écriture francofou

Du 15 au 23 mars 2014, la semaine de la langue française et de la Francophonie,  offre au grand public l’occasion de fêter notre langue et son inventivité. Organisée par le ministère de la Culture et de la Communication, elle promeut la création littéraire, en proposant dix mots à l’imagination de chacun.  
Cette année les mots choisis ont tous un parfum de folie :

Ambiancer, à tire-larigot, charivari, enlivrer(s'), faribole, hurluberlu, ouf, timbré, tohu-bohu, zigzag.

L’atelier d’écriture organisé par la Bibliothèque de Grandvillars a été joyeusement débridé. Les participants se sont emparé du thème, avec banderoles et délires graphiques, avant de se lâcher en recettes magiques et fêtes timbrées. Pour finir en beauté, par du slam dans les allées !

samedi 8 mars 2014

Chronique littéraire : Des vies d'oiseaux, de Véronique Ovaldé

Un titre mystérieux et poétique, à l’image de ce roman léger, qui entrecroise la vie de quatre personnages fragiles, soumis aux éléments mais rêvant de s’échapper, dans une Amérique du Sud suggérée.

Taïbo, comme un oiseau sur la branche, est un nomade, toujours en éveil. Ses intuitions lui permettent de résoudre bien des énigmes, c’est précieux dans son métier de policier. Vida, elle, vit dans une cage dorée. Cette belle femme mène une existence vide, enfermée dans la superbe villa de son riche industriel de mari, elle s’étiole depuis le départ de sa fille. Les deux amoureux, Paloma et Adolfo,  sont de vrais coucous, qui vivent de petites combines, en squattant les maisons des bourgeois en vacances. Chacun de ces personnages cache en outre une douleur ancienne au fond du cœur.

Allers et retours entre deux lieux emblématiques : d’un côté, la ville moderne de Villanueva, où ils vivent. Une plage sublime, entre colline des Dollars et banlieue grise. De l’autre, Irigoy, en plein désert, zone malfamée ou les hommes s’entre déchirent, vivent comme… des chiens. C’est là que sont nés Taïbo, Vida et Adolfo. C’est de là qu’ils découvriront l’apaisement, en se laissant porter par leur soif de liberté.

Véronique Ovaldé nous régale par son écriture inventive et lumineuse, laissant ses personnages dériver entre grâce et autodérision, pour notre plus grand bonheur.
Née en France en 1972, écrivain et éditrice, elle a été récompensée par de nombreux prix.
Des vies d’oiseaux est disponible en poche chez  J’ai lu au prix de 7.60€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 6 mars 2014.

lundi 3 mars 2014

Le Carnaval de Romans

Premier mars 2014 : tambours et cymbales résonnent place du Jacquemart, des objets roulants non identifiés convergent depuis les quartiers, la foule s'agglutine sur le parcours du défilé, des poignées de confettis fusent, échassiers et jongleurs rivalisent de prouesses. Au détour des ruelles, des groupes de musique surgissent, suivis de familles déguisées, qui profitent de l'occasion pour se mettre en scène, changer de rôle, dans la bonne humeur. Un carnaval à la fois structuré et plein de surprises, médiéval et inventif, comme on en trouve dans les pays nordiques. Que du bonheur.
Pourtant à Romans, le Carnaval n'a pas toujours été synonyme de fête !

En février 1580, Romans n’était qu’une petite bourgade de 7000 âmes en Dauphiné. De la Chandeleur à Mardi-Gras, les Romanais s'étaient masqués. Ils avaient dansé, chanté, défilé, s'étaient défiés entre artisans et notables, suivant la tradition, qui opposait les rues, les confréries entre elles. Mais la réjouissance populaire s’est terminée dans un bain de sang.
Le grand historien, Emmanuel Le Roy Ladurie a analysé les causes de cette tragédie dans son célèbre ouvrage "Le Carnaval de Romans" : En 1580, la société était gangrenée par la misère, la violence et les inégalités : impôts, payés uniquement par le peuple, guerres entre protestants et catholiques, rivalités entre corporations… Le Carnaval servait d’exutoire, une fois l’an, les revendications s’exprimaient, sous le couvert des masques. Puis tout rentrait dans l’ordre.

Mais cette année-là, l'effervescence a dégénéré en émeute. Derrière les animaux symboliques qui représentaient les groupes, facile de différencier les masques de riches, seuls autorisés à être sexués (aigle, coq), de ceux des pauvres, châtrés (chapon, mouton) ! Une escarmouche a mis le feu aux poudres. Le combat entre riches et pauvres a fait d’abord 20 à 30 morts, puis la panique s’est répandue. Les villages environnants se sont révoltés à leur tour, déclenchant une véritable guerre des paysans. La répression fut effroyable : 1500 à 1800 hommes passés au fil de l’épée les 26 et 28 mars 1580.

Romans a tenté d’oublier l’horreur du “Carnaval sanglant”, en éliminant  cette fête pendant plusieurs siècles. Réapparition à la fin des années 1970. Georges Fillioud, alors maire de Romans, à la demande d’associations, fit venir Emmanuel Le Roy Ladurie. Les jeunes Romanais découvrirent la tragique histoire et décidèrent de faire revivre leur carnaval. Mais l’engouement s’est vite essoufflé. En 1996, les efforts conjugués d'autres personnalités locales ont permis la création d'un nouveau carnaval coordonné par la municipalité, dédié au théâtre de rue, avec des troupes professionnelles.

Grand succès… mais trop cher ! Associations, maisons de quartiers et troupes de comédiens amateurs ont alors repris le flambeau. Le carnaval de Romans a trouvé ainsi sa formule actuelle, une grande liesse populaire, qui se prépare des mois à l’avance dans les ateliers et les écoles de la ville. Le travail auprès des enfants est privilégié, c'est le moyen de conserver vivante la mémoire de Romans, et de lui assurer un rayonnement sympathique. Pari gagné chaque année !