jeudi 30 janvier 2014

En raquettes au Ballon

25 cm de neige fraîche au Ballon d’Alsace, une opportunité à saisir en cet hiver doux. A Belfort, la route est sèche, mais dès les premiers lacets, la température passe en dessous de zéro, la neige apparaît. En haut, le paysage immaculé, encore désert, nous offre sa magie hivernale.

Dans la blancheur laiteuse, les points de repère habituels sont effacés, mais nous parcourons  sans crainte la forêt du côté de la Gentiane. Sur la neige croûtée en surface, des empreintes d’animaux facilement identifiables, chevreuils, renards, qui se gardent bien d’approcher notre groupe bavard. Le niveau sonore monte encore à l’apéritif, pris au frais du côté de la Tête des Redoutes : Délicieuses madeleines d’Hélène ( il faut voir le sourire de Raymond), arrosées d’une spécialité gasconne de Jean-Claude, le Floc, dont la teneur en Armagnac ressort particulièrement dans la montée suivante ! A la Chaumière, enfin, on se détend autour d’une copieuse fondue comté-barkass, suivie d’une non moins délicieuse tarte aux myrtilles.


Le soleil a fait son apparition, les couleurs changent. Ciel bleu, neige scintillante, contrastes marqués. Nous descendons dans les Faignes, avant de remonter le cours de la Savoureuse, un parcours sauvage et difficile, le long de la rivière, qui cascade entre neige, rochers et glaçons. La fatigue se fait sentir, mais Eric insiste pour nous emmener jusqu’au sommet. Là-haut, une vue spectaculaire nous récompense : les Alpes suisses se détachent au loin, le Ballon de Servance et le Grand Ballon enneigés semblent tout proches, la vallée de Sewen, rousse, s’étale à nos pieds. La neige se teinte de rose au soleil couchant, sous le regard d'une Vierge artistiquement congelée !



mercredi 22 janvier 2014

Chronique littéraire : Petite Poucette, de Michel Serres

Les pouces, c’est avec eux que les "jeunes" s’envoient à longueur de journée des SMS. Plutôt que de contester cette nouvelle façon de communiquer, Michel Serres l’accepte comme une donnée de départ, l’analyse ensuite, et nous affirme qu’il s’agit là d’un tournant majeur dans l’évolution de l’espèce humaine. Ce mutant aux pouces agiles, imprégné des nouvelles technologies, il l’appelle Petite Poucette.

Michel Serres est un philosophe, épistémologiste célèbre, Académicien, longtemps professeur à l’Université de Stanford, il analyse les relations entre science et société. Une réflexion qui  éclaire par sa simplicité et sa clairvoyance. Ce que nous pensions confusément est énoncé clairement, synthétisé, le tableau obtenu est sidérant et inéluctable : Après l’invention de l’écriture, puis celle de l’imprimerie, l’accès libre à Internet est à l’origine de la troisième grande mutation de la société.
Conséquence : notre monde est à repenser, éducation obsolète, politique et information ringardisées, contraintes géographiques et temporelles oubliées. De nouvelles communautés virtuelles d’individus se forment. Les informations multiples auxquelles chacun est confronté redistribuent les cartes. Il serait temps pour nos institutions de s’adapter.

Michel Serres, dans cet essai percutant, révèle l’absurdité du statu quo. Les jeunes construisent l’avenir, leurs pratiques doivent être reconnues comme fondamentales dans la société. Faut-il avoir plus de 80 ans, comme Michel Serres ou Stéphane Hessel, il y a peu, pour en prendre conscience ?

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 23 janvier 2014.

mercredi 15 janvier 2014

Roger Comte, un prince en espadrilles

L’expression est de Jean Cocteau, qui a côtoyé Roger Comte pendant ses années parisiennes. C’est le titre choisi par Annie Marandin pour le beau livre qu’elle publie aux Editions Sékoya, en hommage à cette personnalité extravagante bien connue des Francs-Comtois.

Roger Comte, né à Belfort en 1913, décédé en 2006 à Hérimoncourt, est un artiste peintre régional, qui a mené une vie de bohême hors normes. Enfance choyée et petits métiers entre Belfort et Montbéliard, découverte de la peinture et passage à  Paris, entre misère et exploitation, il a côtoyé les grands artistes de l’époque, qui ont salué son talent original, inclassable. De retour en région, il a décidé de vivre de son art. Entre deux expositions, il écumait le Doubs et le Territoire de Belfort, vendant ses tableaux au porte-à-porte pour gagner sa vie. Tableaux qu’il exécutait rapidement, savait vendre avec un bagout exceptionnel, et convertissait aussitôt. Une croûte vendue, et il achetait de la peinture ou … cassait la croûte !

L’homme était sympathique, à l’aise partout, et vraiment hors du commun. Poète gouailleur ou mystique, la tête dans les étoiles, sans le sou mais follement généreux, vivant en grand seigneur dans des taudis, il ne se déplaçait qu’à cheval ou en taxi. Il se moquait du qu’en dira-t-on, des catégories,  adorait le cirque, la fête, la compagnie d’amis. Un saltimbanque qui faisait rêver ceux qui avaient gardé un cœur d’enfant. Le sien était dévoué à sa muse, Cécile.
C’est dans sa maison d’Hérimoncourt qu’il a fini ses jours, après avoir ouvert un petit musée, où on peut encore aujourd’hui admirer toute la diversité de son talent. Les bénévoles qui font vivre son œuvre et sa mémoire, partagent de multiples anecdotes avec des visiteurs, qui souvent l’ont connu et … méconnu.

Le livre, richement illustré par les toiles de Roger Comte, réunit de nombreux témoignages, photos et courriers. De quoi faire apprécier l’homme, la qualité de sa peinture, mais aussi celle de son écriture. Qu’Annie Marandin a tissée admirablement avec sa propre plume, celle d’une conteuse qui sait ouvrir les portes du merveilleux.

vendredi 10 janvier 2014

Châtaigne ou marron ? un casse-tête piquant !

La châtaigne est le fruit comestible du châtaignier. Mais certaines châtaignes non cloisonnées sont appelées marrons. A ne pas confondre avec le marron d'Inde, qui est la graine toxique du marronnier commun des villes. Conclusion : on peut appeler la châtaigne : marron, mais on ne peut pas appeler le marron : châtaigne. Vous suivez ? La  forme est un moyen de les reconnaître : le marron d'Inde est plus gros et plus rebondi. De plus, seule la châtaigne a une queue : la « torche ». Élémentaire.
Mais avant tout, il faut ouvrir la bogue. Cette enveloppe hérissée de piquants protège les fruits, qu’ils soient marrons ou châtaignes !

La châtaigne est l'emblème de l’Ardèche
Les châtaigniers sont très présents dans la nature ardéchoise.  Les fruits se récoltent toujours dans leur cadre sauvage, en moyenne altitude, entre 200 et 1000 mètres. En 2006, l'INAO a reconnu l'AOC Châtaigne de l'Ardèche. Les châtaignes ramassées servent à la consommation directe, à l’exportation, mais aussi à l’agroalimentaire local, avec la fabrication de conserves et produits dérivés : marrons glacés, glace aux marrons, crème de marrons, confiture de marrons, farine de châtaignes...
Un Musée de la Châtaigneraie existe à Joyeuse. À Saint-Pierreville, la Maison du Châtaignier est consacrée à la découverte, la culture, l'histoire du châtaignier. En octobre, les Castagnades, fêtes populaires en l’honneur de la châtaigne,  se multiplient dans le Parc naturel régional des Monts d'Ardèche.

Production : les Chinois s’imposent
Deux zones géographiques regroupent la production mondiale de châtaignes : l'Asie du Sud-est, en plein développement, et l'Europe méditerranéenne, qui régresse. Sur les 1 900 000 tonnes de châtaignes produites en 2010, 90% sont produites en Asie et 10% en Europe. La Chine est le premier producteur mondial. Cependant, il est très difficile de chiffrer sa production, car la châtaigne est un aliment de base, largement consommé par la population chinoise. La France a produit 9 500 tonnes de châtaignes en 2010, avec deux principales régions de production : le Sud-Ouest (Lot) et le Sud-Est (Ardèche).  Elle se place au sixième rang des producteurs européens, derrière la Turquie, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Grèce.

La châtaigne a sauvé nos ancêtres
Seules, les régions de châtaigniers ont résisté aux disettes nombreuses des siècles précédents. La châtaigne était alors la base de l'alimentation. On appelait le châtaignier : l'arbre à pain, et parfois l'arbre à saucisses, car les châtaignes servaient aussi à l'alimentation des porcs.
La châtaigne fraîche contient jusqu'à 35 % de glucides, ainsi que des vitamines, notamment de la vitamine C. Le taux de sucre du fruit évolue dans le temps, il est plus important quelques semaines après la récolte. La farine de châtaigne contient plus de 75 % de glucides, ce qui en fait un aliment énergétique.

Conservation
Après le ramassage, on immerge les châtaignes dans une cuve remplie d’eau, on brasse, et on élimine tout ce qui flotte : fruits véreux ou déjà pourris. Les fruits sains, plus denses, ne flottent pas. Le trempage dure plusieurs jours, avec brassage et élimination des fruits flottants chaque jour. Puis les châtaignes sont étalées sur un plancher, dans un endroit bien ventilé. Le séchage est terminé quand les châtaignes restent sèches le matin, sans traces de condensation nocturne. On peut alors les stocker dans un local frais et aéré, en les remuant de temps en temps. Dans les Cévennes, chaque mas avait sa clède pour faire sécher les châtaignes.

La châtaigne à toutes les sauces
Fraîche ou sèche, sucrée ou salée, la châtaigne est un délice de l’automne et de l’hiver, à déguster sans modération. Au naturel : châtaignes grillées sous la cendre, dans des poêles trouées ou simplement au four (même au micro ondes : elles cuisent en quelques secondes, après avoir été préalablement fendues). Chauds les marrons ! 
Séchées, puis moulues, elles donnent une farine riche, qui, mélangée  à de la farine de froment, peut servir à faire du pain, des crêpes, des galettes et autres pâtisseries.
Les châtaignes bouillies accompagnent traditionnellement certains plats de fête, comme la dinde aux marrons, le chou rouge aux marrons.
Et en dessert, on a le choix : crème de marrons, glace aux marrons, marrons glacés (confits au sucre)…
Mais la recette que je préfère, c’est le Velouté de châtaignes, simple et goûteux, pour réchauffer les soirées d’hiver.

"Ici, même les mémés aiment la castagne" ... Claude Nougaro.

samedi 4 janvier 2014

Chronique littéraire : Banquises, de Valentine Goby

Celles du Groenland, où Lisa vient chercher, 22 ans après sa disparition, des traces de sa sœur Sarah. La banquise, implacable, peut-elle fournir un début d'explication ? Pourquoi Sarah est-elle partie là-bas ? Pour trouver un refuge à sa douleur dans l'infini blanc ? Comment a t-elle disparu ? 
La narration alterne entre la découverte de l'Arctique par Lisa, et le cheminement familial pour accepter la disparition, le deuil. 
Au présent, c'est un document précis et argumenté sur le Groenland, qui meurt du réchauffement planétaire. Les bouleversements climatiques entraînent la ruine des pêcheurs, la fin des chiens de traîneau, même le volcan islandais éructe ses cendres et sa colère.
Au passé, Valentine Goby analyse la douleur, le deuil impossible, refusé, et ses conséquences pour les vivants : parents recroquevillés sur l'espoir, refusant la réalité. Lisa obligée de gérer seule son chagrin, et le leur. Plus encore, devant accepter leur désintérêt à son égard.
Anorexie ou fuite, Lisa, comme Sarah auparavant, éprouvent la douleur de l'amour mort, se laissent submerger, avant de chercher l'espoir dans la musique, l'écriture ou l'intensité de la banquise.
Vocabulaire riche, style fluide mais travaillé, émotion retenue. Ce roman de la disparition est froid et intense comme une brûlure de glace.

Valentine Goby est née en 1974 à Grasse. Après des études à Sciences Po, elle a travaillé dans l'humanitaire en Asie, puis est devenue enseignante en littérature et théâtre, avant de se consacrer à l'écriture.
Banquises est édité en Livre de Poche au prix de 6,60€.


Chronique publiée dans le JTT du jeudi 2 janvier 2014.

mercredi 1 janvier 2014

Les crèches de Boucieu

Boucieu-le-Roi est un petit village ardéchois, à quelques kilomètres de Tournon. Maisons vivaroises typiques, massive église de pierre blonde, authenticité et cadre montagneux. Le Doux y coule sous un vénérable pont, qui servait de péage royal jadis. On s'y baigne en été, on peut aussi randonner alentour, ou tester le vélorail.

Mais en période de Noël, si des centaines de visiteurs se pressent dans les ruelles, c'est pour un tout autre motif : Chaque fin d'année, les habitants transforment leur village en une exposition de plein air. Rivalisant d'imagination, ils créent et installent des crèches originales, qu'ils offrent au regard des passants. Comme dans un grand jeu de piste, enfants et adultes courent d'une maison à l'autre, d'un escalier à une terrasse, d'une fenêtre à un bûcher, s'extasiant sur la variété des matériaux utilisés, bois, verre, céramique, coton, laine, carton, pierre, métal... et la réussite esthétique obtenue. Un hommage à la récup', qu'amateurs et écoliers subliment avec une créativité étonnante.

Tout en haut de la colline, une grande bâtisse domine le village. C'est la maison de Pierre Vigne, occupée par des sœurs missionnaires. L'exposition s'y termine sous un chapiteau, où des crèches du monde entier se sont donné rendez-vous. Ébène du Sénégal ou tilleul de Pologne, céramique ou verre soufflé d'Italie, tissus de Madagascar, papiers japonais, métal repoussé ou peaux tannées, là encore imagination et technique font des prouesses.
Environ deux cents crèches de tous formats, étonnent, amusent, émerveillent,  prolongeant la magie de Noël. 

Jusqu'au 5 janvier, faites le plein de rêve et d'air pur, une merveilleuse façon d'entrer dans la nouvelle année. Meilleurs vœux !