samedi 30 novembre 2013

Chronique littéraire : L'hiver des hommes, de Lionel Duroy

Retour sur la guerre en Yougoslavie. Marc, un écrivain français, enquête en 2010 sur les événements des années 1992-95, et sur leurs conséquences. Une folie meurtrière s'est alors emparée du pays, les communautés serbes, croates, bosniaques, qui, jusque là, cohabitaient en bonne intelligence se sont déchirées, dans d'effroyables tueries, les familles ont été décimées, les maisons détruites. Comment peut-on vivre après cela ?
Marc est surtout passionné par le cas d'Ana Mladic, fille du général serbe accusé de génocide, dont la mort reste mystérieuse, suicide ou attentat ? Les problèmes des enfants de criminels de guerre le fascinent, lui qui a été rejeté par sa famille, après une enfance maltraitée. Que peut-on construire sur des cendres ?

Pour les Serbes, la paix actuelle n'est pas synonyme de nouveau départ. Leur pays est partagé en deux, les plus récalcitrants sont isolés dans la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine. Ailleurs, les affairistes sont au pouvoir, les anciens héros de la guerre écartés ou poursuivis, alors qu'ils n'ont souvent fait qu'obéir. Au chômage, au sentiment d'abandon, s'ajoute celui d'injustice, de peur, devant les nombreux règlements de compte, et les jugements partiaux de l'Europe.
Lionel Duroy joue les correspondants de guerre. A travers l'enquête de Marc, son alter ego, il nous permet d'appréhender un maximum d'éclairages sur cette guerre si proche. Le bilan des conséquences est désastreux, et même désespéré : la poudrière des Balkans ne demande qu'à exploser à nouveau. Comme son impossible vie familiale, que ses écrits ont fait voler en éclats.

Lionel Duroy , né en 1949 à Bizerte, a vécu une enfance opprimée dans une famille réactionnaire. Successivement livreur, ouvrier puis journaliste et écrivain, il a obtenu avec son roman le Prix Renaudot des Lycéens en 2012. En format de poche, chez J'ai lu, au prix de 6,50€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 28 novembre 2013.

lundi 25 novembre 2013

Le kaki est de retour !

C’est le fruit du plaqueminier, (anciennement appelé figue caque), un arbre originaire de Chine. Abondamment cultivé au Japon, dont il est le fruit national, avec plusieurs centaines de variétés, c’est un des plaisirs de l’automne dans la Drôme.
Plaisir visuel d’abord : Ces gros fruits orangés, accrochés dans des arbres qui ont perdu leurs feuilles, c’est Noël en Novembre ! En campagne comme en ville, les plaqueminiers illuminent les jardins de leurs lanternes rutilantes. Souvent anciens, imposants, isolés, ils créent une atmosphère magique dans la grisaille de l’automne.

Plaisir gustatif, bien sûr. Le kaki de la Drôme se consomme très mûr, cueilli après la première gelée. Il ressemble alors à une grosse tomate, d’une couleur orange foncé. Sa peau n’est pas bonne, mais sa chair, sucrée et fondante comme une confiture au goût d’abricot, est bourrée de nutriments (vitamine C, carotène, glucose, pectine …). Il faut la consommer à la petite cuillère, quand il est blet, c'est-à-dire mou au toucher. Attention, si vous n’attendez pas, son astringence, due à la présence de tanins, vous incommodera.
Il existe des recettes de confiture, de compotes. Il parait aussi que le kaki séché est une pure merveille, les Japonais en raffolent. Mais le plus simple, c’est de manger le kaki cru, il se conserve longtemps. Quel meilleur aliment pour la santé que ce fruit de saison, succulent, énergétique, produit localement?

Sur le marché, on trouve deux variétés de kakis : le traditionnel  hachiya et le kaki-pomme fuyu. Celui-là, on peut le consommer croquant, ou attendre qu’il mûrisse. Il n’a pas d’astringence, n’est pas fragile, se transporte facilement.
Le terme Persimmon ne qualifie pas une variété particulière, c’est tout simplement le mot utilisé  en Angleterre et en Espagne pour nommer le kaki.

"A la Sainte Catherine, tout bois prend racine". C’est le moment de planter un plaqueminier dans votre jardin, son feuillage est beau, ses fruits savoureux, et c’est un arbre rustique. Tant de vénérables plaqueminiers ont été coupés, sous prétexte que leurs fruits n’étaient plus appréciés… Avec la mode aux vergers anciens, le kaki fait son retour.

samedi 23 novembre 2013

Chronique littéraire : Un héros, de Félicité Herzog

On peut naître petite fille riche, s’appeler Félicité, et néanmoins être très malheureuse.
La fille de Maurice Herzog, « vainqueur de l’Annapurna », et d’une intellectuelle plus apte à enseigner Kant qu’à s’occuper de ses enfants, n’a connu que des nourrices, des séjours encadrés aux quatre coins du monde, des soucis d’adultes. Parents divorcés, tromperies, mensonges  et perversion, aucune émotion ne filtre, même chez les grands-parents, représentants figés d’une riche dynastie aristocratique et industrielle.

Félicité ne partage qu’une seule intimité, fusionnelle, avec son grand frère, Laurent, un garçon brutal qui se sent appelé à un grand destin. Il excelle en tout, mais sombre bientôt dans un délire d’études universelles, ne tolérant pas la moindre faiblesse chez sa sœur. Félicité accepte ses coups et ses conseils, se bat pour préserver le lien. Réussit brillamment, elle aussi. Mais comprend trop tard que Laurent développe une maladie mentale, la schizophrénie, avec une issue fatale prévisible.

Dans son récit, Félicité déboulonne la statue du commandeur, ce père éternel séducteur, qui refuse de payer la pension, ne la regarde pas, ou juste comme une proie sexuelle. Elle dresse aussi un portrait navrant de sa mère, riche héritière qui joue les intellectuelles gauchistes libérées. Et décrypte avec virulence le monde cruel de la finance internationale, dans lequel elle se lance. Les coups et les blessures de l’enfance l’ont endurcie, elle trace son chemin parmi les embûches. Son héros, c’est son frère.
Après la mort de celui-ci, elle éprouve le besoin de comprendre. Comment la folie peut-elle détruire ainsi un jeune homme doué ? Son travail de mémorialiste féroce se double alors d'une quête psychanalytique, et acquiert une dimension universelle.

Félicité Herzog, née en 1968, fait carrière dans la finance internationale. Son récit vient de sortir en Livre de Poche à 6.60 €.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 21 novembre 2013.


mercredi 13 novembre 2013

Qin, l’Empereur éternel et ses guerriers de terre cuite

Au Musée Historique de Berne se tient une magnifique exposition sur la fameuse armée de statues ensevelies, plus de 8000 guerriers et chevaux, destinée à accompagner l’Empereur Qin Shi Huangdi (259-210 avant J.C.) dans sa dernière demeure.
Les principales pièces présentées, huit guerriers, un cheval, un char  et son attelage, sont extraordinaires de réalisme. Les traits des visages, les détails des vêtements, le naturel des attitudes montrent à quel point les Chinois du troisième siècle avant notre ère maîtrisaient l’art de la terre cuite, à l’origine polychrome. D’autres pièces plus petites, au décor souvent inspiré d’animaux, objets du quotidien ou de culte, armes, matériaux de construction, en bronze, pierre ou jade, témoignent du raffinement qui régnait à la Cour du Premier Empereur et donnent une vision plus globale de la vie à l’époque. Les explications en trois langues, anglais, français, allemand, sont claires.

La déambulation parmi les vitrines s’accompagne sur écran de rappels historiques bien dosés. On découvre le parcours de Qin Shi Huangdi, conquérant et stratège, qui, après avoir annexé de nombreux royaumes, s’est attribué le titre de Fils du Ciel. Son rôle politique a été déterminant pour la Chine : non seulement il a réuni un immense territoire, mais il a mis au point une organisation centralisée du pouvoir, qui a servi jusqu’au XXème siècle. En particulier, il a unifié la langue et l’écriture, indispensables à la communication dans son empire. L’influence politique décisive de Qin Shi Huangdi, surtout connu comme guerrier et despote auparavant, a été révélée par l’étude de son complexe funéraire.

Car non seulement le Premier Empereur s’est fait enterrer avec son armée de terre cuite grandeur nature, mais aussi avec sa Cour, ses serviteurs et ses fonctionnaires, ses musiciens et ses animaux. Chaque nouvelle session de fouilles dans l’immense site archéologique de Xi’an (56 km2), découvert par hasard en 1974, permet d’enrichir les connaissances  sur l’époque. Et tout n’a pas encore été  exploité, la sépulture royale, notamment, est toujours à l’abri de son tumulus de 115 m de haut. Les conditions actuelles ne permettent pas d’en assurer la conservation en cas d’exposition à l’air, après 2200 ans sous terre.

Le mausolée, inscrit au patrimoine Mondial, reconnu comme la huitième merveille du monde, a été construit en une trentaine d’années environ par 700 000 prisonniers et esclaves. Seule la Grande Muraille peut rivaliser ! Et pour cause : c’est le même empereur qui en a entrepris la construction méthodique, afin de protéger ses frontières du Nord.
Qin Shi Huangdi, éminent tacticien,  a su conquérir l’éternité !

samedi 9 novembre 2013

Chronique littéraire : Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman

Un hommage à la puissance de l’amour, contre la guerre interminable en Israël. Ora, après avoir accompagné son fils Ofer en partance pour une opération militaire dangereuse, décide de quitter sa maison. Elle ne veut pas être présente, si les envoyés de l’armée viennent lui annoncer la mort de son fils. Et espère, grâce à ce subterfuge, qu’il restera en vie. Elle part en randonnée en Galilée, forçant son vieil ami Avram  à l’accompagner. L’errance sur les chemins est l’occasion de parler de Ofer, son enfance, son adolescence. Et aussi de son fils aîné Adam. Deux enfants qu’elle a aimés, câlinés, dorlotés sans compter. Des pages merveilleuses sur l’amour maternel, l’éducation, l’enfance.

On découvre peu à peu que Ora a vécu une histoire d’amour complexe avec Avram, et un mariage voué à l’échec avec Ilan. Tout a commencé dans un hôpital militaire où les trois adolescents étaient isolés, contagieux, hallucinés. Le trio devenu ensuite inséparable, a vécu une complicité hors du commun, une créativité hors normes, malgré les complications amoureuses. Autre éloge, celui de l’amitié, la solidarité. Mais la guerre a broyé Avram, ne laissant à Ora et Ilan que la possibilité de survivre dans le souvenir d’avant.

Les premières pages sont obscures, on ne comprend pas pourquoi, comment. Puis les événements, comme dans un puzzle, révèlent leur logique au fur et à mesure des souvenirs d’Ora. Des digressions philosophiques, politiques, littéraires, mais aussi poétiques, ironiques, jaillissent au cours du cheminement entre les collines en fleurs. Malgré l’omniprésence de la guerre, des attentats-suicides, qui étouffent le quotidien. Un livre éblouissant de richesse, de maîtrise et de profondeur, dont le souffle puissant recouvre la vie, la mort, l’amour.

David Grossman, né en 1954 à Jérusalem, est une des figures de proue de la littérature israélienne, fondateur du mouvement « La Paix maintenant ». Pendant l’écriture de ce roman, il a lui-même perdu son fils, tué d’une roquette dans une embuscade.
Son roman est disponible en Points Poche au prix de 8.90€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 5 novembre 2013.

mercredi 6 novembre 2013

Connaissez-vous le "fini-parti" ?

C’est une pratique autorisant les éboueurs marseillais à quitter leur travail quand la tournée est finie. Logique, à son origine, dans une société qui avait le culte du devoir accompli. Mais le fini-parti est devenu une aberration économique : fini-parti s’est transformé en pas fini-mais bien parti. Résultat : la ville de Marseille est en permanence encombrée de poubelles, pourtant les Marseillais sont ceux qui paient les plus fortes taxes d’enlèvement des ordures en France. Les journalistes du magazine Capital sur M6 ont mené leur enquête.

Embarquement des caméras dans un camion-benne. La tournée se déroule correctement pendant 3h30, puis le camion rentre au dépôt, au nom du fini-parti. L’autre moitié de la tournée n’est pas assurée. Interview des usagers, excédés devant les poubelles qui restent en plan.
Caméra cachée dans les rues, dans un deuxième temps : on voit les camions des éboueurs arriver à toute vitesse, quelques poubelles sont vidées à la hâte, d’autres renversées, ou ignorées, et les camions repartent sur les chapeaux de roue.  Interview d’un responsable de la propreté de la ville : Sur son écran, il visualise le déroulement des tournées en direct, chaque camion ayant une balise. Tout est transparent : les trajets empruntés, la vitesse abusive des véhicules, les arrêts bâclés, environ 10 secondes pour ramasser les ordures, la tournée interrompue. La faute au fini-parti ! Travailler à mi-temps, être payé à plein temps, à Marseille, on peut le faire...
Troisième étape à la mairie de Marseille. Le Maire, d’un naturel arrangeant, explique qu’il tolère tout ça, pour ne pas avoir à subir de conflit avec le syndicat des éboueurs.
                                                                                                                            
Le mot est lâché. Le syndicat ! FO a investi tous les niveaux de la fonction publique à Marseille. Aucune mesure ne peut être prise sans son aval, donc FO verrouille tout, décide des grèves, des promotions, des mutations, du temps de travail. Et encourage le fini-parti, prisé par ses adhérents. FO a même obtenu 600 mètres-carrés de bureaux refaits à neuf par la municipalité dans un immeuble de prestige.

Fini-parti, ça ressemble à pas vu-pas pris, une malhonnêteté affichée. Une galéjade au milieu des scandales, magouilles et règlements de comptes qui sont le quotidien des Marseillais ? Non, car ici toute la population est prise en otage, obligée de vivre dans ses poubelles. A Naples, c’est une histoire de Mafia. A Marseille c’est le fini-parti.

Que faire pour que plus belle soit la vie ? Au moins, comme Stéphane Hessel, Indignez-vous 

dimanche 3 novembre 2013

Les jardins d'Erik Borja

Près de Tain l'Hermitage, à Beaumont Monteux, il existe un jardin exceptionnel, œuvre d'un artiste pétri de culture orientale : le Jardin Zen, d'Erik Borja. En cette période de Toussaint, les couleurs d'automne sont à l'honneur. Mais pas seulement !
Dès l'entrée, une longue allée bordée d'arbres taillés en nuages permet d'apprécier les différents visages du domaine : terrasses méditerranéennes aux senteurs de lavande et romarin, jardin de méditation au gravier soigneusement ratissé, paisible maison de thé dominant le lac, promenade sous les chênes séculaires, forêt de bambous au bord de la rivière, arbousiers, malus, cosmos et zinnias éclatants.

Derrière le calme absolu, la beauté paisible, l'apparente maîtrise des éléments, la nature ne fait pas de cadeau. Lors des pluies torrentielles du 23 octobre, les dégâts occasionnés par la crue de l'Herbasse ont été importants : berges effondrées, arbres déracinés. Les jardiniers travaillent sans relâche à l'entretien. Erik Borja de son côté poursuit une carrière internationale de créateur de jardins d'inspiration japonaise. Celui de Beaumont Monteux, laboratoire d'idées en constante évolution, illustre ses recherches, mais reflète aussi son parcours.

Rien ne destinait Erik Borja à cette carrière. Né en 1941, à Tipaza, après une enfance méditerranéenne, bousculée par la guerre d'Algérie, l'arrivée dans la Drôme, puis les Beaux-Arts à Paris, il participe au mouvement optic art, commence à exposer sculptures et recherches visuelles dans des galeries. Dès les années 70, il ressent le besoin de se ressourcer régulièrement dans la Drôme, puis de s'y installer, entre vignes et arbres fruitiers. Mais c'est un voyage au Japon qui marque le tournant de sa vie. Enthousiasmé par les jardins de monastères, la symbolique des éléments, Erik Borja se plonge dans la philosophie orientale. Là-bas, un jardin reflète un cheminement spirituel, en cohésion avec la nature environnante.

Il a trouvé sa voie, et se lance dans la conception de jardins, en jouant l' équilibre entre végétal et minéral, l'harmonie des formes, des volumes et des couleurs, la présence de l'eau. Sa formation de sculpteur, jointe à la technique des jardiniers dont il s'entoure, le conduisent à renouveler l'art du jardin, il crée des tableaux d'artiste, dont les perspectives structurent le paysage et favorisent la contemplation méditative. Spécialiste reconnu de la taille d'arbres en nuages, il assure à Beaumont Monteux la formation de nombreux stagiaires.

Le jardin a sa vie propre, les érables sont en retard cette année, certains fruitiers ont gelé l'hiver dernier, mais les visiteurs ne sont jamais déçus. Chaque saison est une source de plaisirs visuels différents. Ce week-end, un pépiniériste passionné venu d'Isère, exposait des spécimens aux feuillages flamboyants, dorés, rouges ou bordeaux. La neige sur les bosquets est aussi un instant magique, tout comme la floraison des iris, celle des camélias ou des glycines...
Le Jardin Zen d'Erik Borja, labellisé Jardin Remarquable depuis 2005, est ouvert en toute saison, sur RDV. Que du bonheur !

site : www.erikborja.fr