samedi 26 mai 2012

Chronique littéraire : La liste de mes envies, de Grégoire Delacourt

LE livre dont tout le monde parle, un incroyable bouche à oreille fait son succès. Pas encore en poche, mais même à 16€, on ne regrette pas l’investissement ! Son auteur, encore peu connu, Grégoire Delacourt, est un publicitaire né en 1960 à Valenciennes.

C’est l’histoire de Jocelyne, une mercière d’Arras, plus très jeune, ni très sexy, dotée d’un mari plan-plan, de deux grands enfants qui ont quitté le foyer. Son magasin, c’est sa joie de vivre, qu’elle partage généreusement, dans un blog dédié à ses clientes. Un jour, elle gagne le gros lot à l’Euro millions. Et commence à s’affoler. Elle a beau faire la liste de ses besoins, de ses envies,… elle a peur de cet argent, dont elle pressent qu’il va changer sa vie. Refusera-t-elle le chèque ?

Fine réflexion sur les vraies valeurs, l’amour, l’amitié contre l’argent, le pouvoir. Points de vue différents suivant qu’on est homme ou femme. On est conquis par l’histoire, humaine, et crédible. La mercière et ses copines sont sympathiques et vivantes. L’intrigue est bien ficelée, les rebondissements inattendus. Entre dentelles et boutons nacrés, rubans et taffetas, passementerie et fils de soie, le vocabulaire de la couture nous enveloppe dans une douce nostalgie.

Grégoire Delacourt a réussi un coup de maître avec ce deuxième roman. (Le premier, L’écrivain de la famille, avait déjà été primé). Ici, on retrouve tous les ingrédients d’un bon spot publicitaire : l’analyse des besoins sociaux, l’humour, l’humain, le rêve, un ton juste et un zeste de  clinquant. Une lecture stimulante, et de vraies questions à partager avec les copines ou sur son blog !

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 24 mai 2012.

mardi 22 mai 2012

Le jardin de la France


Passer quelques jours en Touraine, c’est découvrir l’Ouest. Notre Far West.
Là-bas, les soirées sont plus longues que chez nous. Le relief est plat, les coteaux ne sont que d’infimes ondulations du terrain. Le climat, malgré des averses régulières, reste doux. L’habitat est bien conservé, les guerres n’ont pas été destructrices, villes et villages affichent une belle harmonie de tuffeau et ardoise. On utilise encore systématiquement les caves troglodytes. Et le long des routes, ce ne sont que vergers, potagers et vignes, une verdure ponctuée d’éclats, rosiers, iris et seringas fleuris. Atmosphère paisible, convivialité. Petites routes sinueuses, mais impressionnant  réseau hydrographique : on croit longer la Loire, et  la rive du Cher apparaît. Entre Indre et Vienne, c’est la confusion. Et que dire de toutes les rivières détournées, pour arroser les châteaux ?

Les Châteaux de la Loire forment une entité extraordinaire. Sur une centaine de kilomètres, une nébuleuse de joyaux architecturaux tous plus beaux, plus originaux les uns que les autres. Posés dans des jardins raffinés, au milieu de parcs vénérables. N’en consommez pas plus de deux par jour, conseillent les guides, pour ne pas vous lasser !

Nous avons donc visité Chambord, ses extravagantes dentelles de pierre, chambres royales,  et immense domaine de chasse, et Cheverny, plus classique, plus vivant aussi, avec sa meute de chiens, et sa référence au Moulinsart d’Hergé. Puis Villandry, ses 1260 tilleuls taillés, ses superbes parterres géométriques, où buis, lola rossa, lavande, myosotis, iris et pavots forment des mosaïques de couleurs… et Azay-le-Rideau, se mirant dans l’eau, charmant tableau  romantique, entouré d’arbres centenaires, sycomores et platanes, liquidambars et cèdres, séquoias et ginkgo bilobas.
Enfin Chenonceau,  l’harmonie totale entre architecture novatrice, faste royal, jardins travaillés et cadre naturel. Des gerbes de fleurs splendides dans chaque pièce. Mais des hordes de touristes incontournables ! Et Chaumont, célèbre pour son festival des jardins. Où la recherche esthétique n’arrive pas à pallier le manque de profusion végétale: Plants trop jeunes, installations convenues. Le parc et la vue sur la Loire sont plus intéressants.

La Touraine est le jardin de la France, un paradis des sens. La fête de la Rose en est le summum. Non, il ne s’agit pas de politique, mais du prieuré de Saint Cosme ! A l’ombre bienveillante de Ronsard, dans l’ambiance romantique des ruines, une superbe exposition de rosiers. Brume légère, atmosphère douce et harmonieuse, débauche de couleurs, odeurs, et chants d’oiseaux. Le jardin d’Eden.

Tours offre l’effervescence de la ville, de l’esprit : les musées, les rues piétonnes, la place Plumereau et ses vieilles maisons tourangelles, en briques et colombages, la cathédrale Saint Gatien, le quartier Saint Martin, le jardin botanique. Contraste avec le calme des châteaux ligériens, où G. Sand, Balzac, J.J. Rousseau et bien d’autres ont trouvé l’inspiration.

Chinon est la patrie de Rabelais, donc de la bonne chère, mais vénère aussi le passage de Jeanne d’Arc. Amboise reste associée aux fêtes de François Ier,  Leonard de Vinci a choisi d’y finir sa vie.

Partout, l’art et l’histoire, mais aussi la douceur angevine, chantée par Du Bellay. Il fait bon vivre en Val de Loire.

dimanche 13 mai 2012

Un film remarquable : 38 témoins


Un film de Lucas Belvaux, entre polar et questionnement moral. J’ai été bouleversée par l’acuité de la réflexion philosophique et l’efficacité du film.  Le thème : la lâcheté et la culpabilité. Lâcheté collective, culpabilité individuelle, ou l’inverse ? Pourquoi cacher la vérité ? Et d’abord quelle vérité ? Comment est-on détruit en voulant se protéger ?

Le film se déroule au Havre. Ville à l’architecture austère, dont le port et ses porte-containers inhumains, la nuit, induisent déjà une ambiance de peur, d’écrasement. Je n’ai pas compris tout le symbolisme avant d’avoir relu la mythologie des noms : Ainsi Andromède, le navire traçant sa route comme un bulldozer des mers, première image du film, est le nom d’une héroïne livrée au monstre. Qui jouera le rôle de Persée, son sauveur ? Celui qui a écrasé la Gorgone, qui changeait en pierre tous ceux qui la regardaient…

Une jeune femme est découverte morte, baignant dans son sang, dans une rue du Havre. Tous les habitants de l’immeuble voisin jurent n’avoir rien entendu, rien vu. Sauf un, qui refuse de répondre. Homme responsable, respectable, pilote au port, que sa fiancée, de retour de voyage trouve bizarre. Elle s’inquiète de ce changement. Témoin de la culpabilité qui ronge son compagnon, elle veut qu’il lui parle, elle veut l’aider. Mais il ne peut pas partager son lourd secret.
Et puis, il y a une journaliste, qui fouille, qui interroge, qui déstabilise, elle trouve étrange le mutisme du quartier. Elle insiste, pose ses questions sans relâche, malgré les refus.

Quand Pierre se décide à avouer à la police qu’il a entendu, qu’il n’a pas compris, et donc rien tenté, c’est le fragile équilibre de chacun qui vole en éclats. Les autres voisins avouent à leur tour, leur attitude change, l’agressivité se déchaîne. Le jeune policier chargé de l’enquête veut faire poursuivre les 38 témoins pour non assistance à personne en danger. Mais le procureur refuse au nom de l’ordre public, un témoin, oui, mais 38, c’est la banalisation de la lâcheté.
Finalement, il faut l’insistance commune du policier et de la journaliste pour que l’affaire éclate au grand jour. La Honte pour le quartier. Insupportable.

La reconstitution du crime, film dans le film, est un modèle de psychodrame, et de catharsis. 
Elle ouvre à Pierre la possibilité de recommencer une autre vie, ailleurs, seul, mais plus jamais en paix.


jeudi 10 mai 2012

Chronique littéraire: Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes


Attention, esprits délicats, s’abstenir ! Aujourd’hui je vous propose un livre-choc, une vision très dérangeante de la société : « Apocalypse Bébé » de Virginie Despentes. Prix Renaudot 2010.
Pas un conte pour enfants, non, un livre subversif, mais riche d’enseignements sur l’actuelle décadence des valeurs. Une critique à la dynamite, qui fait mouche sur tout ce qui bouge : l’abandon de l’éducation  par les parents, la corruption de la police, la violence des banlieues, la tentation suicidaire des jeunes, la dérive sectaire des groupes religieux…Tout cela dans un style au vitriol, avec un vocabulaire oral, violent, vulgaire, brutal. Mais tellement réaliste.

C’est l’histoire d’une fille en fugue, Valentine. Ses parents, trop occupés par leur propre vie, se contentaient de faire surveiller cette adolescente en rupture par une détective privée. Quand elle disparaît, c’est la panique.  Lucie, chargée de l’enquête, s’enlise dans les fausses pistes. Finalement, elle fait appel à une collègue plus performante : « La Hyène ». Comme son surnom le suggère, celle-ci ne donne pas dans la dentelle. De Paris à Barcelone, d’une bande de voyous à un couvent de bonnes sœurs, ce n’est pas un voyage d’agrément que suit la jeune Valentine, mais une déroute totale. Tout le monde en prend pour son grade, flics et bourgeois, blancs et beurs, homos et hétéros, cathos et libertaires, parents et politiques.
Ce polar social trash dresse un portrait désabusé de notre époque.

Virginie Despentes est née à Nancy en 1969. D’abord installée à Lyon, sur les pentes de la Croix Rousse (d’où son nom de plume), puis à Paris,  elle multiplie les petits boulots, femme de ménage, pigiste, vendeuse, scénariste, … prostituée. Elle publie en 1993 son premier roman « Baise-moi », qui provoque un scandale retentissant. Et poursuit depuis une carrière d’écrivaine, réalisatrice, traductrice.
Une révoltée des mots et du style, qui plonge le lecteur dans un itinéraire glauque, mais vraisemblable, jusqu’à l’apocalypse.

Chronique publiée dans le JTT du 10 mai 2012.